À Freetown, Mary, 28 ans, raconte son calvaire à l’AFP. À seulement 15 ans, elle a connu l’angoisse d'une grossesse non désirée à la suite de son premier rapport sexuel. "J'avais peur que ma mère me chasse de la maison", confie-t-elle. Ne sachant à qui se confier, elle a décidé de solliciter l'aide d'une guérisseuse traditionnelle, une solution brutale qui lui a laissé des douleurs et un traumatisme profond.
Pour de nombreuses femmes en Sierra Leone, l’accès à un avortement sûr reste une illusion. En effet, le pays enregistre chaque année des milliers d'interruptions de grossesse illégales, résultat d'une législation qui date de 1861, interdisant l'avortement sauf si la vie de la mère est en danger. En 2022, le président Julius Maada Bio avait pourtant soutenu un projet de loi visant à dépénaliser l'avortement, mais l'initiative fait face à une résistance culturelle et religieuse considérable.
Le Conseil inter-religieux de Sierra Leone, qui regroupe principalement des leaders chrétiens et musulmans, s’oppose fermement à cette dépénalisation. Edward Tamba Charles, l'archevêque de Freetown, a déclaré que cela irait à l’encontre des valeurs réligieuses profondes du pays.
Parallèlement, des témoignages de femmes comme Bintu Kamara et Fatu Esther Jusu, toutes deux ayant recours à des méthodes dangereuses pour avorter, illustrent les conséquences tragiques de cette interdiction. Fatu, une infirmière de 22 ans, a partagé son expérience traumatique, évoquant des saignements et des complications à la suite d'un avortement clandestin.
Le Dr Tamba Kongoneh, gynécologue et obstétricien, reste choqué par les conséquences des avortements pratiqués par des guérisseurs, expliquant que des interventions chirurgicales deviennent nécessaires en raison de complications graves, parfois mortelles. "Les femmes risquent leur vie à cause de choix personnels qui devraient rester privés", déplore-t-il.
Alors que 82 % des Sierra-Léonais soutiennent l’accès à la contraception, seulement 13 % se prononcent en faveur de l’avortement. Ce vaste fossé témoigne d’un profond décalage entre les désirs de santé reproductive des femmes et les réalités imposées par une législation archaïque. Les intervenants et les organisations, comme l’Association de planification familiale, continuent de plaider pour un changement, mais la route semble encore longue pour arriver à des réformes nécessaires.
Dans un pays confronté à des challenges sanitaires énormes, la dépénalisation de l'avortement pourrait devenir une étape majeure dans la lutte pour la santé et la dignité des femmes sierra-léonaises. Les voix de celles qui souffrent doivent être entendues.







